Flex office : les leçons des pionniers

Avec le télétravail qui s'impose dans le paysage, les entreprises cherchent à rationaliser leurs bureaux pour plus de flexibilité, de collaboration et… d'économies. Avec le risque de mal prendre en compte les particularités de chaque secteur. Retours d'expérience.

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Elle pousse la porte et pose son café sur la table de conférence, à côté de ses dossiers : « J'arrive de la cafétéria, j'adore travailler là-bas. » Valérie Vezinhet, directrice des relations humaines de PwC France et Maghreb, tient à montrer l'exemple : voilà quatre ans qu'il n'y a plus de bureau attitré au siège du cabinet de conseil, à Neuilly.

L'épisode du grand confinement et les suites de la pandémie ont fait réfléchir plus d'une entreprise sur son organisation du travail. Les accords de télétravail qui se généralisent accélèrent la démarche. « Le télétravail imposé a obligé les entreprises à réfléchir à leur organisation », constate Flore Pradère, directrice recherche et prospective bureaux pour JLL.

 

Optimisation

Alors que les accords de télétravail se généralisent, beaucoup d'entreprises réfléchissent à mettre en place des bureaux partagés. Qu'elles l'appellent « flex office », « bureaux agiles », « bureaux libres », l e principe est toujours identique : la fin des bureaux attitrés où s'accumulent photos d'enfants et « mugs » à la couleur douteuse.

Aux adeptes de longue date s'ajoutent les nouveaux convertis. Selon une étude réalisée par JLL en octobre dernier, 59 % des entreprises interrogées seraient prêtes à adopter le flex office ou à l'intensifier et 47 % souhaitent en profiter pour rationaliser leur parc immobilier. Les précurseurs avaient déjà profité de certaines occasions - généralement un déménagement - pour réfléchir à une autre organisation. D'autres y voient l'opportunité de repenser sérieusement l'optimisation des lieux de travail, alors que l'immobilier est le deuxième poste de dépenses des entreprises, derrière les salaires.

 

Charte de flexibilité

Les cabinets d'audit et de conseils ont été les premiers à mettre en place le système flex dans les années 1990. La semaine dernière, PwC a décidé de pousser jusqu'au bout la logique. « Il fallait réfléchir à l'après Covid-19 et le retour au bureau. Nous voulions que le présentiel soit utile. ça n'a pas de sens de venir au bureau si c'est pour être seul dans un open space », explique Valérie Vezinhet. Résultat : la société va diffuser une nouvelle charte de flexibilité particulièrement large. « Le principe de trois jours de présence et deux jours de télétravail est un peu factice », ajoute-t-elle.

Dans la nouvelle organisation, « le maître mot est la flexibilité, avec deux cibles : pas de télétravail à 100 % et pas de présentiel à 100 % », explique la DRH. Les 24.500 mètres carrés du siège ont donc été repensés en conséquence. Des espaces modulaires vont être testés avec des cloisons coulissantes isophoniques. Des cabines téléphoniques et des espaces collaboratifs ont été ajoutés afin de s'adapter aux nouveaux usages.

 

“ Les résistances ne sont pas venues nécessairement des personnes que l'on attendait. ” 

Régis Blugeon Directeur des ressources humaines de Saint-Gobain en France

 

Chaque étape a été négociée et discutée avec les partenaires sociaux. Dans certaines entreprises, des groupes de travail ad hoc sont créés. « Le dialogue social est la clef », note Régis Blugeon, directeur des ressources humaines de Saint-Gobain en France. Pour le producteur et distributeur de matériaux de construction, le déménagement dans une toute nouvelle tour l'an dernier a été l'occasion de repenser complètement l'espace de travail.

Un comité de pilotage a été mis en place une fois par trimestre, de 2016 à juin 2020. « Ce travail d'accompagnement nous a permis de faire tomber les réticences. Il fallait écouter et comprendre les freins tout en calmant les surmotivés », note le DRH, qui avoue que « les résistances ne sont pas venues nécessairement des personnes que l'on attendait ».

 

Lunettes de réalités augmentées

Jusqu'à 25 consultants sont intervenus en informatique et digital, conduite du changement, design et aménagement… Des lunettes de réalité augmentée ont été mises à disposition des salariés pour faire partager la sensation aux futurs occupants de la tour. L'entreprise, qui ne souhaite pas communiquer le coût du passage en flex office, reconnaît toutefois « plusieurs dizaines de milliers d'euros » de dépenses.

Le déménagement dans cette tour de 49.000 mètres carrés pour 2.500 personnes a permis de fermer plusieurs établissements éparpillés dans Paris et sa banlieue, comme l'immeuble Mozart dans le 20e arrondissement ou les locaux d'Isover et de Placoplatre à Suresnes. « En termes de loyers, l'objectif était de faire une opération neutre. Objectif tenu », soutient Régis Blugeon.

Le déménagement ayant eu lieu en plein confinement, les salariés ne reviennent sur leur lieu de travail que très progressivement. Mais « on peut légitimement penser qu'avec le développement du télétravail, sachant que nous avons un accord depuis fin 2018 qui prévoit deux jours en moyenne par semaine, on va pouvoir augmenter le taux de 'flex' pour viser 0,7 dans toute la tour », affirme celui-ci. Ce taux aussi appelé « taux de foisonnement », « taux de desk-sharing» ou « taux de mutualisation de bureaux », correspond au ratio entre nombre de postes individuels disponibles et nombre de collaborateurs. C'est l'un des premiers critères regardés par les syndicats.

 

Bureaux libres

Rares sont les passages en flex office qui se soldent par plus de mètres carrés. Parmi les exceptions, la société de conseil BETC qui a troqué ses 9.000 mètres carrés parisiens contre 20.000 mètres carrés… à Pantin. « Il y avait deux fois et demi plus de places que de gens », se souvient la DRH, Sophie de Gromard pour qui le passage en flex « a été un choix d'organisation et non de place ». Aujourd'hui, le nombre de salariés a augmenté mais le ratio reste à 2. « Il faut de l'espace pour faire des bureaux libres », insiste la DRH.

En fait, c'est l'utilisation de l'espace de travail qui change. Chez BETC, le principe des « bureaux libres » a été pensé dès le départ en « active space working » : les salariés choisissent leur lieu de travail en fonction de ce qu'ils ont à faire. Un fonctionnement en mode « projet » que toutes les sociétés de conseil passées au flex ont peu ou prou adopté.

Le cabinet d'avocats BG2V fait figure de pionnier au barreau de Paris. « Il y a une vraie revalorisation des échanges et une grande horizontalité des rapports de travail », souligne Quentin Leroux, associé de ce cabinet où tout le monde joue le jeu du flex.

« Il y a eu quelques craintes au départ », admet Quentin Leroux, « mais, finalement, tous s'accordent à dire que le principe du 'cleandesk' le soir est un vrai 'cleantête' qui marque la fin de journée », ajoute-t-il.

Dès la livraison de ce lieu fin 2016, Société Générale a engagé un programme de déploiement du flex office qui s'achèvera en 2022. Avec le nouvel accord de télétravail, le programme Flex aura permis de réduire de plus de 20 % le nombre de postes de travail. Ainsi, le taux de postes passés en flex office était de 71 % fin 2020 et « nous devrions être à quasi 80 % en 2022, avec une cible à 87 % fin 2022 » projette Eric Bousrez. « D'un point de vue financier, le retour sur investissement des dépenses immobilières de transformation est inférieur à deux ans », ajoute-t-il.

 

Investissements technologiques

Autre contrainte financière : le flex office exige un investissement technologique conséquent. Sur le site Dune de Société Générale, les bureaux sont équipés de capteurs afin d'être signalés comme occupés, ou non, sur l'application numérique. Saint-Gobain a créé l'appli « Sésame », une clef universelle pour repérer les étages des différents services, trouver une salle de réunion, réserver le coiffeur ou la salle de musique installés dans la tour.

Mais le « total flex » des années 1990 est largement passé de mode : à l'usage, la plupart des entreprises sont revenues légèrement en arrière. « On a ajusté assez vite. Cinq ans après, on a remis des quartiers de référence afin que les gens puissent se retrouver plus facilement », admet Sophie de Gromard chez BETC qui remarque « un petit côté grégaire et du coup une forme de régularité » dans le choix de la place. « Mais il y a quand même du mouvement.»

C'est l'un des grands enseignements des pionniers du flex : « Beaucoup étaient partis sur un flex ouvert, chacun s'installait où il voulait. Mais cela ne se fait plus aujourd'hui, les sociétés privilégient des fonctionnements en mode quartier ou territoires », explique Flore Pradère. BlablaCar a poussé cette logique jusqu'au bout en privilégiant le mode « sharedesk » plus que « flexdesk » : pour lisser la présence des salariés et permettre à tous les membres d'une même équipe de se retrouver ensemble, les espaces sont distribués sur la semaine à deux équipes différentes.

 

Tenir compte des spécificités des activités

« Les exemples qui n'ont pas fonctionné ont été mal dimensionnés au départ », remarque Flore Pradère. « Le problème aujourd'hui est que le flex office se met en place partout sans considération des particularités et des spécificités des activités », renchérit Laurence Gueret, experte du cabinet Syndex.

Autre enseignement : si l'exemplarité du management dans le partage des bureaux doit rester la règle, des aménagements ont parfois été nécessaires. Chez Saint-Gobain, par exemple, la direction a accepté que les assistantes gardent leur poste fixe : « C'est rassurant et permet de mettre de la continuité dans le service », remarque Régis Blugeon. Chez BETC au contraire, « tout le monde est logé à la même enseigne, du stagiaire à Mercedes Erra [la patronne de la société de conseil, NDLR] », insiste la DRH. De même, chez PWC, Peugeot et Thales Group. « Si le management n'avait pas joué le jeu, il y aurait eu un tollé », souligne Anne Bobin, déléguée syndicale du site de Meudon.

Chez Aviva, un espace flex dédié à la direction générale a été défini. « Les salariés ont exprimé très vite le besoin d'une certaine discrétion vis-à-vis de leur hiérarchie. Mais ils restent dans un espace partagé, car s'il n'y a pas de notion d'exemplarité, ça ne peut pas fonctionner », explique Flore Pradère.

 

Période d'adaptation

En clair, le flex doit être… flexible et pouvoir évoluer avec les usages des salariés, souligne Flore Pradère. « Il faut une période d'adaptation pour les salariés, car c'est une transformation si forte que l'on constate généralement comme une courbe de deuil : du déni à l'acceptation en passant par la colère », remarque la spécialiste.

Plus d'un tiers des 15.000 personnes interrogées par l'UGICT-CGT sur le télétravail disent qu'un passage en open space ou en flex office est en cours dans leur entreprise et une majorité le considère négativement. « Une organisation jugée impersonnelle, pathogène et génératrice d'isolement, sans parler des difficultés de concentration », critique Nayla Glaises, membre du bureau de l'UGICT-CGT.

Ces perspectives font peser sur le management une nouvelle pression. A lui  de trouver des trésors d'animations pour faire partager une vision commune, intégrer les nouveaux… « Le management par le temps de présence, si cher aux entreprises françaises, va devoir évoluer pour embrasser une dynamique d'autonomisation et de confiance réciproque. C'est un nouveau contrat social qui est attendu par les travailleurs aujourd'hui », conclut Flore Pradère

Par Valérie de Senneville - Les Echos

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